Aliénation et accélération, ed. La découverte 2012, coll. Théorie Critique.
Un livre de sociologie, voilà qui est inhabituel pour moi. Je suis tombée dessus par le traducteur, Thomas Chaumont qui avait fait un travail décapant sur Tout et Plus Encore de David Foster Wallace. Je craignais un peu l’ennui et le jargonnage, au contraire, ça s’est avéré une lecture très didactique, passionnante, limpide et éclairante, une grille d’interprétation totalement en accord avec ce que j’observe et vis.
Quelques extraits/résumés ici, (balancés comme ça, j’admets que ce soit un peu indigeste, le livre les enrobe dans 150 pages réellement pleines d’intérêt) :
introduction : la perspective temporelle permet mieux d’appréhender les aspects de la vie : les structures temporelles “relient les niveaux microscopiques et macroscopiques de la société, c’est à dire que nos actions et nos orientations sont coordonnées et rendues compatibles avec les « impératifs systémiques » des sociétés capitalistes modernes à travers des normes, des contraintes et des régulations temporelles.”
première partie : une théorie de l’accélération sociale
chap 1 : qu’est-ce que l’accélération sociale ?
accélération technique : “la priorité naturelle ( anthropologique) de l’espace sur le temps, […] semble s’être inversée. […] Le temps est de plus en plus conçu comme un élément de compression ou même d’annihilation de l’espace.”
accélération du changement social : “L’espace de l’expérience et l’horizon d’attente coïncident […] L’accélération sociale est définie par une augmentation de la vitesse de déclin de la fiabilité des expériences et des attentes et par la compression des durées définies comme « le présent ».[…] Le changement -dans la famille et le travail- s’est accélèré pour passer d’un rythme intergénérationnel au début de l’ère moderne, à un rythme générationnel dans la modernité classique puis à un rythme intragénérationnel dans la modernité tardive.”
accélération du rythme de vie : “augmentation du nombre d’épisodes d’actions ou d’expériences par unité de temps, conséquence du désir ou du besoin ressenti de faire plus de choses en moins de temps.”
chap 2 : les forces motrices de l’accélération sociale.
le moteur social : la compétition : “la position qu’un individu occupe dans la société moderne n’est pas prédéterminée par la naissance, et elle n’est pas non plus stable pendant le cours d’une vie (adulte) mais bien plutôt en cours d’une négociation concurrentielle permanente.”
le moteur culturel : la promesse de l’éternité : “dans la société moderne séculaire, l’accélération sert d’équivalent fonctionnel à la promesse (religieuse) de vie éternelle. […] séculaire au sens où l’accent est mis sur la vie avant la mort […] une vie bonne est une vie accomplie, une vie riche d’expériences et de capacités développées […] le temps perçu du monde (Weltzeit) et le temps d’une vie individuelle (Lebenzeit) divergent spectculairement […] ”
le cycle de l’accélération : est devenu un système fermé et autopropulsé -> accélération technique -> accélération du changement social -> accélération du rythme de vie -> accélération technique etc.
chap 3 : qu’est-ce que la décélération sociale ?
les limites de vitesse naturelles et anthropologiques / les oasis de décélération (industrie délibérée) / la décélération comme conséquence dysfonctionnelle de l’accélération sociale (dépressions psychopathologiques) / la décélération intentionnelle : la décélération fonctionnelle (accélératoire) - la décélération idéologique (oppositionnelle) / le revers de l’accélération sociale : l’inertie structurelle et culturelle “les principes emboîtés de compétition, de croissance et d’accélération semblent former un « triangle structurel » si solidement établi que tout espoir de changement culturel ou politique parait complètement vain.”
chap 4 : Pourquoi il y a accélération plutôt que décélération ?
“transition de l’expérience culturelle dominante du changement (progrès) dirigé à la perception d’un mouvement épisodique frénétique est un critère de définition central de la transition de la « modernité classique » à la « modernité tardive ».
chap 5 : Pourquoi est-ce important ? L’accélération et la transformation de notre « être au monde »
“force normative des silencieuse des normes temporelles” (voir figure là… )… “le régime d’accélération de la modernité transforme […] notre relation au monde social […] au monde objectif […] au monde subjectif.”
Dans un monde “où l’impression de changements aléatoires, épisodiques ou même frénétiques remplace la notion de progrès” l’individu perd “toute certitude sur la direction de l’histoire”.