vieux démons que j’aimais
Tuesday, December 8th, 2009(vagues d’ego vagues réminiscences décousues name dropping substance dripping)
Hasards toujours, convergences j’espère, je relis des maths. Oh de la vulgarisation, rien de plus. Ceci menant à cela, je lis enfin le fameux Gödel, Escher, Bach (GEB) sur lequel, depuis les 10 ans qu’il siégeait quelque part dans ma bibliothèque, je m’étais à plusieurs reprises endormie. D’ailleurs, quasi 10 ans que j’ai quitté ce monde-là.
Et voilà l’impression d’être à la maison, aussi de mesurer un peu tous les efforts que j’ai faits depuis, n’étant plus dans ce monde-là pour m’intégrer à un autre, pragmatique, social … parfois tentations de capituler … ce qui n’est possible à aucun niveau de toute façon.
Pour rattraper Gödel, j’ai pris Logicomix, qui bédéïse l’histoire des logiciens autour de Bertrand Russell et Ludwig Wittgenstein. Russell (relativement succinte bio wikipedia français ) est un type énorme, incroyable, mathématicien, philosophe, prix nobel, militant pacifiste, défenseur de l’amour libre ; ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi on ne le connait pas plus en France (contrairement à Wittgentstein ). J’ai d’ailleurs appris qu’il avait crée en 1927 avec sa femme de l’époque, Dora, une école qui reposait sur un principe de liberté afin d’encourager naturellement maturité et auto-discipline. (dans la bédé, cette expérience est présentée comme un échec, peut-être plus dû aux personnalités des Russells).
À la fois étrange et intéressant parti-pris de Logicomix, d’aborder les logiciens sous l’angle de la folie. Vieux démons que j’ai fuis. J’ai toujours pas mal fui toutes les maths discrètes en fait, ainsi que la logique. Ça m’énervait. Je trouvais ça à la fois vain et essentiel et tellement essentiel que ça me faisait peur — tandis que la continuité était tellement délicieuse — .
Dans le GEB, il y a ce passage (ouverture chap. 4) qui résume bien ce qui avait fini par être pour moi une application directe de cet effroi : (traduction à l’arrache by cibi, mon exemplaire is in English)
(au chapitre II), nous avons vu comment le sens — du moins dans le contexte relativement simple des systèmes formels — naît lorsqu’il y a un isomorphisme (*cb: grosso modo correspondance un à un*) entre des symboles régis par des règles et les choses du monde réel. Plus cet isomorphisme est complexe, plus nous aurons généralement besoin d’équipement — hardware et software — pour extraire des symboles, du sens. Si un isomorphisme est très simple (ou très familier), nous pouvons être tentés de dire que le sens de ce qu’il nous permet de voir est explicite. Nous voyons le sens sans voir l’isomorphisme. L’exemple le plus flagrant de ceci est le langage humain, où les gens attribuent du sens aux mots en eux-mêmes sans avoir la moindre conscience du très complexe “isomorphisme” qui le leur insuffle. C’est une erreur très facile à commettre : attribuer tout le sens à un objet (le mot) plutôt qu’au lien entre les objets et le monde réel.
Je ne parle pas de problème de communication dans le couple. Je parle de réussir à acheter son pain. Alors un jour, je me suis souvenue de ce Wittgenstein dont j’avais de très loin entendu parler. Un mathématicien philosophe qui se serait intéressé aux fondements du langage ? mais vite, vite, une réponse, il détient certainement une réponse ! De la certitude, c’était tellement exactement mon besoin, de la certitude du monde en dehors de ma tête, après le bord de mes lèvres qui articulaient les mots avec tant de peine. J’ai très rapidement compris qu’il valait mieux pour ma santé mentale que j’enfouisse ce bouquin quelque part très loin.
Enfin, peut-être par nécéssité, vint l’habitude du saut. Le saut des mots hors de la bouche, un léger vertige parce que l’on sait que la certitude n’est rien de plus qu’une croyance, un mythe, une superstition, j’ai appris à profiter du vertige, même parfois à m’en enivrer sans faire attention et à accepter cela.
(photo jd clic pour la voir en grand)
Dans les choses lues récemment, j’ai aussi accroché à une citation de David Foster Wallace dans Everything and More, a compact history of Infinity comparant les équtions différentielles à du calcul intégral sous hallucinogène de classe 4. Ouais, d’ailleurs c’était mon truc ça plutôt. Réciproquement, Wittgenstein aurait pris des drogues psychedeliques qu’il n’aurait pas été si triste dans la vie. Moi j’ai peut-être maintenant suffisament d’ancrages dans la mienne pour le lire. Wallace parle aussi du personnage de mathématicien fou comme figure récurrente de la pop culture. C’est vrai, et le romantisme avec lequel c’est souvent montré m’horripile, la folie ça n’a rien de glamour. J’avais bien aimé le Pi de Darren Aronofsky pour avoir évité cela justement.
De l’hypothèse du continu(um) au concept du continuum… c’est le drame, le miracle, l’intense frustration et l’incommensurable joie de mes 10 dernières années.