du zen dans le carburateur
(à partir de mes commentaires à ce billet : http://alter1fo.com/lectures-pour-aout-19757 )
À propos de “éloge du carburateur“, Matthew B. Crawford, Editions La Découverte .
Globalement en accord avec l’ensemble des propos du livre, j’ai toutefois quelques commentaires. Tout d’abord, bien qu’il prétende uniquement vouloir promouvoir, contrairement aux idées reçues, la voie du travail manuel comme univers non seulement viable mais satisfaisant, j’ai eu le sentiment qu’il se refusait à considérer la possibilité d’obtenir le même genre d’accomplissement dans le travail intellectuel. Il démontre parfaitement que la plupart des professions intellectuelles se vident peu à peu de leur intérêt cognitif, victimes d’une rationnalisation identique à celle du travail à la chaîne, transformées en une succession de « tâches stupides » et déconnectées (les unes des autres, déconnectées aussi de tout l’univers socio-culturel qui entoure la production d’un bien ou d’un service) sous couvert de rationnalisation.. Donc pourquoi ne pas imaginer la possibilité de l’équivalent intellectuel de l’atelier du garagiste ? Alors qu’il défend en effet la non-séparation, il exclut quasi de fait les professions intellectuelles.
D’autre part, une bonne partie de son propos repose sur la notion de gratification. Ce qui m’étonne, c’est qu’hormis une vague référence – que j’ai trouvée d’ailleurs un poil condescendante – à un prédécesseur pourtant évident « Traité du Zen et de l’entretien des motocyclettes » (Pirsig 1974), avec lequel il partage aussi le fait d’avoir une traduction française peu enthousiasmante (pas aussi catastrophique heureusement), il ne se réfère pas (assez) explicitement (à mon goût) à l’idée de qualité, le mot même de qualité est soigneusement tu. Et c’est ce qui aurait mérité à mon sens un développement plus important.
Je pense que l’absence de gratification, dans les professions aussi bien manuelles qu’intellectuelles, correspond à une notion de qualité dévoyée. La qualité est devenue une notion normalisée selon des critères qui se veulent certainement objectifs : évaluation du produit fini, environnement de travail, avantages sociaux, etc. mais quid de la satisfaction intrinsèque à l’accomplissement d’un travail ?
Je crois Pirsig, - au moins dans un cadre professionnel - quand il énonce que “la Qualité est l’évènement qui permet de prendre conscience du sujet et de l’objet” (p258 Editions du Seuil, 1978). La Qualité comme la relation entre le sujet et l’objet.
Le point finalement essentiel auquel devrait mener la proto-analyse de Crawford, c’est la refondation des structures de travail. Ce qui apparait en filigrane de ces processus de rationnalisation des tâches, c’est la disparition du sujet, justement. Rationnaliser pour que les employés soient exactement interchangeables. C’est ça LE drame qu’il convient de démonter, quels que soient les métiers concernés. La question ouverte devient celle des structures (humaines) et organisations (des process) qui permettraient de ne pas en être victime, notamment au niveau de la production de masse.
D’ailleurs, l’atmosphère hautement hiérarchisée et basée entre autre sur la rétention d’information, telle qu’il la décrit dans un de ces garages de réparation de moto, ne me semble pas le modèle le plus enviable.
Cela dit c’est un livre à recommander tant il m’apparaît, avec surprise, que les positions qu’il véhicule ne sont pas si reconnues. J’aime beaucoup entre autre, l’idée, très bien formulée, que la capacité à agir (physiquement) sur notre environnement est fondamentale.
Aussi, un passage que j’ai trouvé vraiment étonnant se trouve dans les premiers chapîtres, lorsqu’il relate les débuts du fordisme et la difficulté de recruter des ouvriers acceptant d’exécuter un travail aussi rebutant ; il explique comment les programmes scolaires ont été adaptés pour former des travailleurs manuels en adéquation avec ce genre de tâches, puis comment le crédit s’est ouvert afin d’enchaîner ces ouvriers à leur emploi. Limpide. Et actuel.
September 17th, 2010 at 9:57 am
le final sur le fordisme est violent je dois dire. donne envie d’approfondir. Je crois que la “qualité” peut aussi être vu comme ce qui confère à un objet autre chose que sa fonction d’unité représentative (pas une table, cette table). Partant de là la qualité s’oppose à la quantité, et implique un indicible, uneconnection à d’autre choses qu’elle mêmes (le style, la façon, la couleur, le touché) qui justement sortent la chose de son caractère de chose. Dès lors on pourrait définir la chose comme ce qui est coupé du monde, coupé sciemment du monde : matériau transformé et figé. Et la qualité comme ce qui l’y renvoie, notamment via le sens et l’affect. c’est peut être ça la “conscience” et “l’événement” de ce Pirsig. Le monde est “ce qui arrive”, c’st à dire la somme des événements. Il faudrait donc pour remettre le travailleur dans le monde, le dé-chosifier, lui faire fabriquer des événements plutôt que des choses. La couturière chez Vuiton fait certainement un meilleur travail que celui de l’ouvrier bengali de H&M. Parce qu’elle dialogue avec nombre d’autres choses qu’une “unité représentative”, qu’unobjet entant que quantité, finalement une abstraction. hahaha j’arrête là
September 17th, 2010 at 1:24 pm
… la couturiere, connectée à l’univers socio-culturel qui entoure sa production (ainsi qu’à la consommation de ce qu’elle produit)…
oui pour ton interprétation de la qualité, c’est exactement cela que l’on trouve dans “zen & the art of motorcycle maintenance” (je prefère le titre original), (même si lui part de la question de définir la qualité en réthorique, pour finir par l’illustrer dans le cadre de la réparation de motos.)
Tiens, une autre citation dans ton sens “la Qualité est le stimulus perceptuel auquel notre environnement nous soumet : nous incitant à recréer sans cesse, tout entier et dans le moindre détail, le monde où nous vivons.”
[ Ensuite, il tend vers une sorte de métaphysique quasi mystique (la qualité c’est le tao). ]
“dé-chosifier le travailleur en lui faisant fabriquer des évènement”, et faire que ce soit plus qu’un discours de manager à la con.
September 17th, 2010 at 3:41 pm
ah oui j’oubliais le discours managérial. Il faut pendre les managers. Nationaliser les banques. Interdire toute productivité qui ne soit justifiée que par elle même. Qui me donne les clefs du pays ????